Interview avec Carine Rouvier, présidente de l’association FCE, Femmes Chefs d’Entreprises

  • Pouvez-vous nous présenter l’association FCE, Femmes Chefs d’Entreprises ?

La mission de FCE est d’accompagner la croissance des entreprises membres par du développement professionnel et personnel de la dirigeante. Chaque membre peut prendre des mandats dans la vie économique au niveau local, régional et national, et ainsi œuvrer pour une juste place des femmes dans les gouvernances.

Née il y a 75 ans, l’association possède 60 délégations et plus de 2 000 membres. Certaines femmes sont présentes dans l’association depuis 15-30 ans, et ont donc bâti des entreprises très solides. Nous travaillons en lien étroit avec des zones géographiques très intéressantes pour l’entrepreneuriat féminin, comme la Polynésie française, où les femmes représentent 36% des dirigeants d’entreprise. Dans les DOM-TOM, il y a un marché croissant pour l’entrepreneuriat féminin.

  • Quelles sont les tendances de l’entrepreneuriat féminin que vous observez actuellement ?

D’après une étude réalisée par l’INSEE1, en France en 2020, quatre créateurs d’entreprises individuelles sur dix étaient des femmes. Bien que stable depuis 2015, le nombre d’entreprises créées par les femmes a connu une croissance importante depuis 2000 où elles ne représentaient que 33 % des créations.

Dans l’association, le profil type des femmes accompagnées semble représentatif du milieu économique français. Une grande proportion des bénéficiaires travaille dans le service ou le commerce. On constate un gros manque dans l’industrie et le numérique. Nous accompagnons quelques femmes dans l’industrie, mais elles restent très isolées. Idem pour le domaine de la tech, même si les choses commencent à bouger.

Depuis plusieurs années la tendance reste sensiblement la même, ce sont les PME et les TPE qui comptent plus de femmes cheffes d’entreprises que les grands groupes. En effet, les entreprises de moins de 20 salariés dirigées par des femmes représentent 15,4%, contre seulement 3,5% pour les sociétés de plus de 1 000 salariés 2. Cette même proportion est observable chez nos bénéficiaires.

Globalement, en France, des moyens importants sont alloués à la création d’entreprise. Il existe par contre un manque d’argent pour le suivi dans le temps de ces entreprises, 2 ans et plus après leur création. En général, on aide les femmes à se lancer, mais après, les accompagnements sont plus rares.

  • Les femmes entrepreneures font-elles face à des difficultés particulières ? Si oui, lesquelles ?

Les femmes entrepreneures font face aux mêmes difficultés que leurs homologues masculins et connaissent une charge de travail très forte, surtout dans les TPE. La situation est la même dans les PME de plus de 50 salariés. La différence entre les hommes et les femmes tient surtout dans la sphère privée.

  • Y a-t-il des causes de liquidation d’entreprise plus fréquentes chez les femmes cheffes d’entreprises que chez leurs homologues masculins ?

Il existe un sujet chronique chez les femmes : elles créent des entreprises qui leur ressemblent. Beaucoup d’entre elles disent avoir une “petite entreprise”. Chez FCE, nous militons pour qu’elles s’autorisent à dire qu’elles ont de “belles entreprises”. Le problème est que quand on dit “belle entreprise”, on convoque un vocabulaire plus masculin renvoyant à un chiffre d’affaires important, beaucoup de salariés et beaucoup de bénéfice. Les femmes se démarquent en ce qu’elles souhaitent ajouter une valeur à leur entreprise. Pour elles, une “belle entreprise” signifie une entreprise à valeur. Le mouvement actuel des entreprises à mission me semble inspiré du credo de l’entrepreneuriat féminin. Par contre, on observe aujourd’hui que les entreprises à mission restent majoritairement masculines.

Un autre frein lié à cette problématique est que lorsque les femmes créent une entreprise avec leurs valeurs, elles ont du mal à se dire qu’elles peuvent gagner de l’argent. Elles se retrouvent donc enfermées dans un double carcan : elles se limitent car elles croient qu’elles ne doivent pas gagner de l’argent et en plus de cela, en France, les patrons pensent qu’ils ne doivent pas trop s’enrichir. Souvent, les entreprises féminines coulent à cause de ces freins psychologiques.

Le deuxième gros sujet est celui du manque de financement. 90% des femmes montent une entreprise avec le capital familial, ce qui n’est pas le cas des hommes. Il y a de l’argent public prévu pour le financement de l’entrepreneuriat féminin, au niveau des régions ou de Bpifrance, mais ils ne reçoivent que très peu de dossiers. On constate que les femmes sont trop timides sur leur business plan, elles ont peur de faire du bruit. Un des faits majeurs est que les femmes s’auto-éliminent fortement dans le champ de l’entrepreneuriat.

Chez FCE, nous n’essayons pas de combattre les institutions, mais au contraire de travailler main dans la main avec elles pour aider les femmes à lever leurs barrières et de les convaincre de déployer leur potentiel.

  • Quel accompagnement propose aujourd’hui FCE à ses bénéficiaires ?

Notre accompagnement est centré sur le partage d’expérience entre femmes chefs d’entreprises. Nous organisons des réunions d’échange entre une à trois fois par mois. Cela permet de combattre la solitude des femmes entrepreneures. Chaque mois, des conférences sont organisées avec des intervenantes de qualité sur deux thèmes : le développement personnel et celui de l’entreprise.

Un de nos moyens d’action est d’inciter les femmes à prendre un mandat dans une CCI, un tribunal de commerce, une CMA notamment. Le but est de leur faire prendre conscience du rôle économique qu’elles ont à jouer et donc qu’elles peuvent gagner en influence. Ces prises de mandat servent à créer des rôles modèles pour ensuite monter des femmes en puissance.

Par cet accompagnement, les femmes baignent dans un environnement qui leur permet de s’autoriser ensuite à oser et à gagner en ambition.

FCE et 60 000 rebonds une même démarche – Anne-Charlotte MESNIER
Les deux associations ont des objectifs complémentaires au service des femmes chefs d’entreprises. Elles travaillent toutes deux à combattre la solitude des dirigeantes, à favoriser les rencontres et les échanges entre pairs. Un environnement qui permet aux bénéficiaires d’oser aller plus loin.

1 Entrepreneuriat féminin : la parité avance à petits pas – Insee Flash Auvergne-Rhône-Alpes – 86

2 Les femmes chef d’entreprise, plus nombreuses dans les PME (ellesassurent.fr)