La résilience des entrepreneurs ayant subi une liquidation judiciaire pendant la crise sanitaire

 

Les faillites en toile de fonds de la crise sanitaire

 

Le nombre des entreprises en difficulté était environ 52 000 en France en 2019. Sur ces 52 000 entreprises, 34 000 sont des TPE/PME qui ont fait l’objet d’une cessation d’activité (liquidation judiciaire -LJ). La liquidation judiciaire est l’achèvement d’un long enchainement de difficultés conduisant à de graves problèmes de trésorerie. La quasi-totalité des travaux depuis le début des années 60 https://www.jstor.org/stable/2978933 (Altman, 1968) jusqu’aux travaux récents s’accordent sur ce point https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/for.2770 (Brédart, Séverin et Veganzones, 2021)

En France, l’année 2020 a été marquée d’une part par la crise sanitaire touchant les TPE/PME maintenues sous perfusion financière, et, d’autre part par une chute spectaculaire du PIB (-9%), conjuguée à une baisse drastique des défaillances d’entreprises (-38%). Ce phénomène semble paradoxal mais s’explique aisément par le soutien massif de l’Etat aux entreprises durant cette crise sanitaire.

 

La faillite recouvre des réalités différentes. Les premières études ont traité le plus souvent des grandes entreprises. Les dernières années, de nombreuses études ont cherché à mieux expliquer les déterminants concernant les PME. Cependant, la connaissance reste encore très incomplète et en particulier lorsqu’on s’intéresse aux entrepreneurs qui ont à subir les conséquences de l’échec de leur projet entrepreneurial.

Nous avons cherché d’une part, à mieux comprendre l’échec entrepreneurial et, d’autre part, à permettre à des entrepreneurs ayant échoué de se reconstruire personnellement et de rebondir vers un autre projet professionnel par le biais d’un accompagnement personnalisé.

 

Dans le contexte singulier de la crise sanitaire, des entrepreneurs venaient de rebondir en créant une nouvelle entreprise ou en ayant récemment trouvé un emploi, et d’autres récemment en liquidation essayaient de rebondir. Ils présentaient donc un degré de vulnérabilité accru par rapport aux autres entreprises. Comment ces entrepreneurs ont-ils vécu l’échec dans le cadre du Covid 19 ?

C’est à cette question que l’Association 60000 rebonds s’est intéressée en se focalisant sur ces entrepreneurs doublement touchés par la crise sanitaire et le traumatisme de la liquidation judiciaire. L’enquête a porté sur 280 entrepreneurs qui sont pour moitié en cours de rebond (recherche d’une activité après la liquidation judiciaire) et pour l’autre moitié qui ont rebondi (redémarrage d’un activité entrepreneuriale ou salariale après l’accompagnement).

Ils ont autour de la cinquantaine, ¾ sont des hommes, et viennent de toutes les régions de France. La crise sanitaire les a touchés directement car près 75% ont soit subi une liquidation, ou  avaient créé une entreprise ou trouvé un emploi entre en 2019 ou avant octobre 2020.

 

Les constats

 

Les résultats sont instructifs. De façon surprenante, les résultats ne mettent pas en évidence, comme on pouvait le supposer a priori, une dégradation continue de leur moral. Deux résultats majeurs apparaissent.

Premièrement, le moral des entrepreneurs s’est amélioré entre octobre 2020 et mars 2021. L’étude s’intéresse à quatre dimensions (professionnel, personnel, santé, financier). L’étude cherche à étalonner chacune des composantes de leur « météo » de 1 à 5 : (1 ma météo est orageuse à 5 ma météo est radieuse), ceci à trois moments de la crise : janvier 2020 (juste avant la crise sanitaire), octobre 2020 (date de l’enquête et du deuxième confinement) et mars 2021 (perspective à 6 mois).

 

Situation professionnelleSituation personnelleEtat de santéSituation financière
Date
Janvier 20202,53,23,592,34
Octobre 20202,953,593,792,49
Mars 20213,473,613,753,05

Les réponses utilisent une échelle allant de 1 à 5 (1 signifiant une météo ‘orageuse’ et 5 une météo ‘radieuse’)

Par exemple, en moyenne, leur ressenti de situation personnelle passe de 2,95 à 2,50 entre Octobre 2020 et Janvier 2020, soit une progression de 18%, avec une espérance de 3,47 à 6 mois, soit encore + 18%. De même pour leur situation personnelle qui augmente de 12%, leur santé de 6%, et leur situation financière de 7% entre janvier 2020  et octobre 2020.

Au lieu d’une dégradation, nous voyons clairement que la situation générale des entrepreneurs s’améliore avec le temps.

Deuxièmement les nombreux verbatim et échanges font ressortir que le confinement a été ressenti comme bénéfique dans leur « météo ». Ainsi les personnes disent se sentir moins seules depuis le confinement car ils ne sont plus les seuls à être confinés !

 

Les tentatives d’explication

Ces résultats semblent contre-intuitifs, comment alors les expliquer ? De nombreuses études montrent que la faillite stigmatise celui qui l’a connue comme le souligne Magras (2019).

L’échec évoque l’infamie et incarne marquage au fer rouge du dirigeant d’entreprise qui perd sa notoriété et sa position au sein de la société. Le failli est celui qui n’a pas sur tenir ses engagements. Ainsi, l’entrepreneur post-liquidation a tendance à s’isoler, se replier sur lui-même et se sentir rejeté.

Or, avec le confinement et les difficultés liées à la crise, les dirigeants de PME/TPE sont désormais impactés comme tous les autres par la crise sanitaire et économique. Ainsi la stigmatisation de la liquidation est partagée avec les autres entrepreneurs. Ce n’est plus un échec personnel mais plutôt un échec collectif qui n’est pas dû à un manque de compétences mais à des éléments que personne ne peut maîtriser.

 

La cessation d’activité a également des conséquences sur l’état général de la santé physique et mentale de l’entrepreneur (Torrès, 2017).

La perte de l’entreprise s’accompagne d’un cortège de difficultés : dettes, absence de revenus, non couverture par les Assedic, caution personnelle entrainant souvent la perte de la résidence principale, divorce, problèmes de santé, etc.

Cette descente aux enfers peut aboutir à une fin tragique, celle du suicide du chef d’entreprise. Beaucoup pensent à se suicider même si, heureusement, ils y renoncent. Il ressort que la crise sanitaire n’est pour eux qu’un phénomène de plus qui s’ajoute et complique leur rebond et redressement mais qui n’est en aucune mesure comparable à ce qu’ils ont subi. Donc, leur « météo » s’améliore. En réalité le traumatisme de l’échec initial est bien plus violent que la crise sanitaire et cela d’autant plus que des structures d’accompagnement sont capables de leur permettre de comprendre les raisons de leurs échecs et leur permettent de les surmonter. Au fond, on assiste à un phénomène de résilience (on parle d’ailleurs de résilience entrepreneuriale), c’est-à-dire un art de transformer les blessures traumatiques en une opportunité de création de sens, de valeur à la fois symbolique, économique et sociale pour d’autres que soi-même, par le choix de l’acte d’entreprendre.

 

Les projections

 

La situation actuelle ne doit pas cacher les difficultés car il y a fort à parier que les liquidations judiciaires seront nombreuses en 2022 avec la reprise de l’activité des Tribunaux de Commerce, l’arrêt des aides gouvernementales ou les remboursements des prêts accordés pendant la crise sanitaire. Cependant, la meilleure compréhension de la résilience entrepreneuriale est de nature à permettre aux entrepreneurs de passer de la notion de faillite à celle de défaillance. Si la faillite sanctionne un état d’échec définitif, le préfixe en altère la dureté. L’échec n’est jamais définitif, une aide permet alors de retrouver le chemin du succès.

 

Eric Séverin, Université de Lille et Gérard Desmaison, Coordianteur de l’Observatoire du Rebond, Association 60000 Rebonds  

 

Lexique :

EAR : Entrepreneur Ayant Rebondi = a trouvé une emploi salarié ou a créé une entreprise pendant la crise

EER = Entrepreneur En Rebond=Ils viennent de subir une liquidation judiciaire pendant la crise sanitaire